Pour lancer les interviews d’artistes de La Lutte Musicale, nous nous sommes entretenus avec Adahy, artiste queer et militant.e originaire de la région Lilloise. Iel nous parle de sa musique, de ses inspirations et de ses engagements.

LLM : Dis-nous tout, tu viens d’où ? Tu fais de la musique depuis combien de temps ?
Adahy : Je viens de Lille, j’ai eu ma première guitare et je me suis mise à écrire mes premières chansons vers 12 ans.
LLM : Qu’est-ce qui t’as donné envie de faire de la musique ?
A : La musique, ça a très vite été un refuge, un moyen d’exprimer mes peurs, mes haines. Quand j’avais 15-16 ans, j’aurais aimé pouvoir m’identifier à un.e artiste francophone qui aurait exprimé exactement ce que je ressens, ça m’aurait fait beaucoup de bien. Mais à mon époque, les seules artistes femmes auxquelles je pouvais me rattacher c’était Lorie, Jennifer, et on était à des années-lumières de mes convictions. Aujourd’hui ce qui me fait le plus plaisir, c’est quand je reçois des messages de gens qui souffrent des mêmes angoisses que moi et qui se retrouvent dans ma musique. J’aime que ma musique soit un outil, qu’elle puisse parler à d’autres personnes et leur être utile.
LLM : Ce sentiment d’angoisse que tu exprimes dans ta musique, d’où est-ce qu’il vient ?
A : Je suis très inquiète de l’état du monde, de la planète. C’est un sentiment de plus en plus développé chez les jeunes : l’éco-anxiété. Ça se confirme avec les manifs pour le climats qui rassemblent pas mal de monde. Je pense qu’il manque dans la musique française un.e artiste reconnu.e qui se bat pour ça. Il y en a, je pense à Suzane qui a fait un morceau sur l’environnement par exemple, mais le sujet n’est pas encore abordé de la manière dont je l’imagine.
LLM: Tu t’apprêtes à sortir ton premier EP, est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?
A : C’est un regroupement de 5 morceaux, qui condense les peurs et les convictions d’un.e ado, jusqu’au passage à l’âge adulte. Ce projet c’est un peu mon parcours de vie, mes convictions personnelles, mes angoisses. Il va s’appeler 1°C Le titre m’est venu tout seul, il rappelle la dimension de mon cursus en géographie/environnement, et le 1, c’est un chiffre ouvert qui permettra de nommer d’autres EP par la suite 2°C, 3°C et qui m’autorise à clore le chapitre quand je veux.


LLM : Tu peux nous décrire le processus de sortie d’un EP ? Comment toi tu en es arrivé.e à ce stade, et comment ça se passe pour les jeunes artistes qui veulent sortir leur premier EP ?
A : C’est un long processus, les chansons qui sont sur l’EP sont toutes finies depuis plus d’un an. Pour commencer il faut déjà avoir l’inspiration, écrire les textes, composer la musique, ou la faire composer par d’autres si on bosse pas tout.e seul.e. Ensuite il y a l’édition, le mixage, le mastering… Pour ma part, je suis autonome jusqu’à 40, 50% du mix on va dire, ensuite je délègue le reste du mix et le mastering, pour avoir un son parfaitement propre. Ça a un coût, plus tu arrives à être polyvalent.e et moins c’est cher, mais plus ça te prend aussi de charge mentale. Il y a des parties qui sont difficiles à maîtriser seul.e, comme la distribution…Il vaut mieux être accompagné.e. Personnellement depuis quelques temps je ne passe plus par un producteur, je m’auto-produit, mais j’ai la chance de pouvoir déléguer le travail de distribution depuis que j’ai rejoint un label.
LLM : Dans tes textes, tu chantes à la fois en français et en anglais, comment est-ce que tu t’y prends pour écrire les paroles de tes chansons ?
A : Ma musique vient des tripes, je ne me verrais pas faire appel à d’autres personnes pour écrire les paroles ou composer. A la base, l’anglais me venait plus naturellement, parce que j’ai écouté énormément de groupes anglophones. Mais comme le français est ma langue maternelle, j’arrive à mieux m’en servir pour faire des jeux de mots ou des consonances comme sur Plaisir par exemple.
LLM : Est-ce que tu as déjà eu l’occasion de donner des concerts ?
A : Non, malheureusement, je devais donner mon premier concert en mars 2020, il a été annulé à cause du COVID. Malgré tout, j’ai pu faire récemment une captation vidéo, accompagnée de mon batteur. J’aime cette configuration minimaliste, après dans le futur, si on peut rêver de gros concerts, j’aimerais m’accompagner de plusieurs musicien.ne.s, qu’on soit 5 ou 6 sur scène. Je ne peux déjà pas jouer de la basse en même temps que je chante car les rythmes sont trop différents. En tout cas j’ai très hâte de pouvoir m’exprimer sur scène devant un public, j’attends ça avec impatience !
LLM : En tant que personne, quels sont tes engagements, les causes que tu défends ?
A : En plus de l’environnement, j’ai une cause qui me tient particulièrement à cœur, c’est celle des natif/ves Américain.es. J’ai eu l’occasion d’en rencontrer lors de voyages aux États-Unis, et de constater la précarité dans laquelle iels vivent, ça m’a touché au plus profond de moi. Je sais que je suis blanche et européenne, je ne connaîtrai pas les mêmes problèmes qu’eux, et sans faire du « White Savior », j’ai eu envie en rentrant de me battre pour eux, c’est même ce qui a été à l’origine de mon projet musical. Bien sûr, je m’engage aussi pour le féminisme, contre le racisme, la transphobie…Toutes les injustices sociales et environnementales.
LLM : Qu’est-ce que tu penses de la politique culturelle du gouvernement, depuis la crise du COVID ?
A: Je ne comprend pas qu’on ai pu laisser aussi longtemps les magasins de vêtements ouverts tout en gardant fermés les cinémas et les théâtres. Il n’y avait rien de logique, c’est un non-sens complet, comme pour les mesures environnementales de toute façon. Pour les bars aussi, certes il y a ceux qui refusaient d’appliquer les mesures de sécurité élémentaires, je comprends que ceux-là ferment, mais la plupart ne voulaient pas faire courir de risques à leurs client.e.s mais ont été sanctionnés quand même.
LLM : Est-ce que tu peux nous partager des figures politiques qui t’inspirent ?
A : Alexandria Ocasio-Cortez. J’espère qu’elle deviendra une des plus grandes décideuses, si elle peut devenir présidente un jour ce serait fou. En France, je dirais Christiane Taubira. Une femme noire à la tête d’une des principales puissances mondiales, symboliquement ça serait ouf.
LLM : Demain, c’est la Révolution. Quelle mesure aimerais- tu voir appliquée en priorité ?
A : Pour moi, la priorité, c’est de réformer complètement le système scolaire. Les méthodes d’apprentissage, les contenus des cours. Trop d’élèves s’y sentent mal, il ne faut pas un système unique, mais prendre en compte tous les différents types d’intelligence. Il nous faudrait consacrer aussi du temps à réapprendre notre lien à la Terre, pour savoir ce qu’on consomme, respecter les choses qui nous entourent. Des choses simples. Aujourd’hui on est à deux doigts de maîtriser la fusion nucléaire, mais par contre on est incapables de connaître ces choses élémentaires.
LLM : Instant partage : un.e artiste que tu as envie de nous faire découvrir ?
A : La première personne à laquelle je pense, même si je sais que vous avez déjà parlé d’elle sur LLM, c’est Soul of Bear. C’est un régal de discuter avec elle parce que c’est un puits de connaissance, elle est hyper bienveillante et a une patience remarquable pour expliquer ses idées. Sa musique est super intelligente, c’est remarquable dans l’intention et dans l’engagement. J’espère qu’elle ira très très très loin.

Retrouvez L’EP d’Adahy 1°C, sorti le 1er Mai 2021, sur toutes les plateformes de streaming ou en suivant le lien Youtube juste en dessous!
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