En 2018, The Inspector Cluzo fêtait ses 10 ans d’existence. Pas mal pour un groupe qui a toujours fonctionné en totale indépendance. Original, le groupe l’est à plusieurs niveaux : d’abord parce qu’au contraire de la majorité des groupes de Rock, il n’est composé que de deux personnes. Deux musiciens donc, l’un qui joue de la guitare et chante, l’autre de la batterie. Mais les deux membres d’Inspector Cluzo ne sont pas que musiciens. Originaires de Mont-de-Marsan où ils vivent toujours, ils sont également éleveurs, et cette particularité représente une part importante de leur cheminement artistique.
Car The Inspector Cluzo revendique de faire de la musique de la même façon que de l’agriculture : de manière artisanale, indépendante, sans OGMs. Débordants d’énergie en concert, ils jouent sans artifice, sans bandes pré-enregistrées. Sur le label qu’ils ont lancé, Fuck the bass player Records, ils sortent en indépendant et en auto-distribution leurs albums, de la même manière qu’ils cultivent l’auto-suffisance par le biais de leur ferme landaise. Un beau parcours pour ce duo alternatif qui met son idéologie en pratique par le biais de ses moyens de fonctionnement.
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Lorsqu’on évoque Underground Resistance, on parle d’un collectif mythique, pour plusieurs raisons. D’abord pour sa participation à la définition du son Techno, ce genre musical qui a émergé à la fin des années 80, à Detroit. Originaires de la Motor City, les membres d’Underground Resistance font partie de la seconde vague d’artistes Techno de Detroit, après le trio d’initiateurs Juan Atkins, Derrick May et Kevin Saunderson. Mythique, le collectif fondé en 1990 l’est aussi par sa radicalité, son esthétique sans compromis. Sur les pochettes des disques n’apparaît que le logo UR reconnaissable entre tous, les visages des membres restent cachés sous des cagoules en concert.
Cet anonymat, couplé à un refus d’apparaître dans les médias, vient d’une volonté affichée de mettre la musique en avant, qu’elle seule importe plutôt que ses interprètes. Le producteur s’efface derrière sa musique, les artistes restent anonymes pour éviter de tomber dans la stratification, qui nuit au sens profond de la musique. L’utilisation de pseudonymes pour brouiller les pistes est courante. Leur musique est aussi le seul média au travers duquel ils peuvent s’exprimer sans que leur pensée soit déformée, qui peut toucher directement leurs auditeur.ices.
À travers le mouvement Techno, Underground Resistance s’inscrit dans un courant musical innovant, directement inspiré des conditions sociales difficiles des afro-américains de Détroit, cette ville industrielle qui connaît le chômage de masse, la pauvreté, les violences policières, le racisme. S’inspirant de l’imaginaire militaire et de la fierté d’être noir-e de Public Enemy, UR rompt avec l’industrie musicale, montant ses propres labels, studios, et réseaux de distribution, pour être en totale indépendance et garder le contrôle sur leur musique et leur image.
Joan Baez est une autrice-compositrice et interprète américaine, née en 1940 et associée au courant musical Folk. Elle a joué lors d’événements majeurs comme la première édition du Festival folk de Newport en 1959, ou encore le fameux festival de Woodstock. Engagée activement, elle soutient les marches pour les droits civiques, se bat contre les injustices sociales, et contre la guerre du Viêt Nam.
Avec une carrière longue de plus de 60 ans et plus de 30 disques à son actif, on pourrait penser que son engagement faiblirait, mais il n’en est rien. À 80 ans passés, Joan Baez continue de suivre et de commenter l’actualité politique. Dans sa jeunesse, “la reine du Folk” découvre en concert Pete Seeger, pionnier du Folk et ami de Woody Guthrie (que nous avons déjà présenté). Elle comprend que la musique est politique, et qu’elle se doit d’interpréter et d’écrire des chansons sociales, aux paroles qui reflètent une vision du monde et ne sont pas de simples instruments de divertissement.
Joan Baez au rassemblement contre la guerre du Vietnam. Londres, 1965
Elle est aussi transformée par les discours de Martin Luther King, qui exercent sur elle une influence décisive. Dans l’Amérique ségrégationniste des années 60, le combat de King porte un espoir de paix et de rassemblement, dans lequel la jeune Joan se retrouve complètement. Un combat pacifiste qu’elle prolongera quelques années plus tard, en partant au Vietnam, alors bombardé par les avions américains. Autre anecdote marquante, en 1981, elle doit donner une tournée de concerts à travers l’Amérique du Sud. Mais le Chili et l’Argentine traversent une période trouble, avec les dictatures de Pinochet et Videla. Elle se rend sur place mais, menacée de mort, elle doit se résoudre à ne pas monter sur scène devant le danger.
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Par les damné.e.s de la terre est un projet mené par le rappeur Rocé, en collaboration avec l’historien Amzat Boukari-Yabara et la chercheuse Naïma Yahi. Ce projet prend la forme d’une compilation, sortie en 2018 sur le sous-label d’Hors Cadres, Collection Mémoire. Cette compilation rassemble des morceaux rares, oubliés, d’artistes issu.e.s pour la plupart des anciennes colonies françaises, qui chantent en français, mais sont laissés pour comptes des médias français et de l’imaginaire collectif.
Rocé s’éloigne donc du milieu du rap français, pour définir une identité commune aux enfants des diasporas, leur faire (re)découvrir la culture de leurs parents, de leurs grands-parents. Une histoire qui mêle luttes anticoloniales, luttes ouvrières, exils, et qui exhorte à garder la tête haute, à être fièr.e de son passé, de son héritage.
En apportant cet éclairage historique, Rocé espère inspirer les réflexions de la période actuelle, en brisant des tabous, et en empêchant une réécriture de l’histoire par les dominants.
Se côtoient sur ce disque musiques du Gabon, de Guyane, du Burkina Faso, discours d’Hô Chi Minh (Leader communiste et anti impérialiste du Viêt Nam), psychédélisme du Groupement Culturel Renault. Le disque s’accompagne d’un livret très fourni, qui revient sur le contexte particulier de chacun des morceaux sélectionnés, l’histoire de celles et ceux qui en sont à l’origine, accompagné d’une citation de Jacques Rancières :
Voir ce qui n’avait pas lieu d’être vu, faire entendre comme discours ce qui n’était entendu que comme un bruit
Quilapayun est un groupe chilien, actif depuis 1965. Nommé ambassadeur culturel du pays par le président socialiste Salvador Allende en 1972, le groupe, partit en tournée, ne peut pas revenir au Chili l’année suivante, suite au coup d’État de Pinochet. Il demande alors l’asile politique en France, où il joue à de nombreuses reprises, de la fête de l’Humanité à l’Olympia.
Musicalement, les Quilapayun mélangent les instruments et airs traditionnels andins, à des paroles poétiques et toujours socialement très engagées. Ils participent activement à la campagne qui porte au pouvoir le socialiste Salvador Allende en 1970. Les noms de leurs albums (plus de 35) parlent d’eux-même : Basta (1969), ou La Revolucion y las estrellas (1982).
Pochette de l’album El Pueblo Unido, Jamas Sera Vencido sorti en 1974
En 1970, ils dédient un album entier, Cantana Santa Maria de Iquique, à la mémoire des événements du 21 décembre 1907, où une manifestation de mineurs venus du pays entier est réprimée dans le sang, causant des milliers de victimes chez les mineurs. Le pouvoir tente de faire oublier cet épisode au plus vite, n’en faisant jamais mention, mais Quilapayun lui rend sa place dans la mémoire collective, en lui consacrant cet album, qui alterne chansons et textes récités.
Le groupe est aussi à l’origine d’une chanson devenue un hymne révolutionnaire à travers le monde entier : El pueblo unido jamas sera vencido composée par Sergio Ortega, écrite et interprétée par Quilapayun à partir de 1974.
Source photo de couverture: https://quilapayun.com/. Manifestation de soutien à l’Argentine. France, 1970
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Princess Nokia, c’est l’alias finalement adopté par Destiny Nicole Frasqueri après autres: Wavy Spice et Destiny. Rappeuse Américaine d’origine Portoricaine, née en 1992, date éponyme de sa plus célèbre mixtape, elle enregistre sa première chanson, Destiny, en 2010. Profondément influencée par New York et ses quartiers, tels que le Bronx ou Harlem, elle s’est notamment essayée au Blues et à la Soul en tant que Destiny sur son projet Honeysuckle, projet engagé où elle affirme sa position face à la recrudescence des violences raciales aux États-Unis.
Après avoir fréquenté le milieu des rave-parties, elle finit par organiser ses propres soirées et travaille en parallèle en tant que gogo-danceuse. Plus tard encore, elle fonde avec Milah Libin le Smart Girl Club, un collectif queer et féministe à travers duquel elle diffuse des émissions de radio hebdomadaires, ainsi que des clips. S’identifiant en tant que personne bisexuelle et non-binaire, elle a donné plusieurs concerts dans des clubs gay à ses débuts, ancrant le début de sa réputation à la scène LGBT+.
Pochette de l’album 1992 sorti en 2016 ( auto-production) et réedité en 2017 par Rough Trade
Artiste indépendante qui le clame haut et fort, ses albums sont autoproduits et elle a plusieurs fois refusé les propositions de maisons de disques. Néanmoins, cela ne l’empêche pas de participer à de grandes campagnes de publicité pour des marques de luxe, telles que Margiela, pour laquelle elle a été ambassadrice, ou encore Calvin Klein.
Son succès l’a également amené à donner des concerts dans des universités, comme Harvard ou Cambridge, concerts que l’on pourrait critiquer, mais à titre d’anecdote, elle serait descendue de scène pour gifler un homme ayant proféré des obscénités à Cambridge, ce qui, somme toute, collerait plutôt bien au personnage.
Texte: Kévin Juskiwieski
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Pablo Hasél est un rappeur, poète et activiste de la communauté autonome de Catalogne. Son nom de scène est une référence à un conte arabe dans lequel un guérillero nommé Hasél fait tomber une monarchie. Il se revendique ouvertement communiste, antifasciste et anti monarchiste.
Pablo Hasél est arrêté le 16 février. Son arrestation déclenche manifestations, émeutes, et l’intérêt de nombreux médias.
Déjà condamné par le passé pour apologie au terrorisme pour ses tweet critiquant la police et la monarchie, Pablo Hasél est condamné en 2018 à deux ans de prison ferme, mais sa peine est réduite pour éviter un scandale et ainsi empêcher de créer des liens de solidarité avec d’autres artistes condamnés. Son arrestation s’inscrit dans une série de procès menés par l’Audience nationale (instance de justice créée sous le franquisme). Celle-ci condamnait le collectif de rap La Insurjencia et le rappeur Valtònyc pour apologie du terrorisme, en s’appuyant sur leurs tweets contre la police, la monarchie en place et leur admiration envers le GRAPO (Groupes de résistance antifasciste du premier octobre) . La réduction de peine ne lui évite cependant pas une incarcération immédiate, qu’il cherche à éviter en se réfugiant dans l’université de Lleida, sa ville natale. Il se fera arrêter le lendemain par les forces de police.
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Deena Abdelwahed est une DJ et productrice Tunisienne, née en 1989 au Qatar. En 2015, elle déménage à Toulouse, et se fait connaître sur la scène internationale grâce sa Techno futuriste et parfois expérimentale, qui incorpore des éléments de musique traditionnelle Arabe. Entre 2017 et 2021, et publie 4 EP et un album, sur le label Infiné, qui l’amènent à jouer dans les grands clubs européens, de Concrete au Berghain.
Deena est marquée par les événements du printemps Arabe en 2011, qu’elle soutient. Son engagement pour la liberté des peuples se retrouve dans son album Khonnar, sorti en 2018, qui se veut un hymne féministe, évoque les brutalités de la police envers les fêtard-e-s. Il incite à agir, à ne pas rester passif/ves faces aux injustices. Deux morceaux sont écrits en collaboration avec le poète égyptien Abdullah Miniawy. On y entend du Bendir, instrument de percussion tunisien, mélangé aux sonorités électroniques percussives, fantomatiques ou menaçantes.
En plus de ses performances en solo, Deena Abdelwahed est membre du collectif queer basé à Berlin Room 4 Resistance. Ce collectif se bat pour rendre la fête plus accessible, en faire un espace “safe”, de liberté pour les personnes LGBT+. Il permet également aux DJ femmes ou non-binaire de se sentir plus en confiance et de leur offrir un espace d’expression.
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La Rumeur, c’est un groupe de Hip-Hop français, actif depuis 1997. Le groupe se considère parfois comme un groupe “underground” ou “hardcore”, pour marquer la différence avec le reste du Hip-Hop français. Radical, ils refusent de changer leur musique pour plaire à un plus large public ou pour passer sur Skryrock, radio qu’ils critiquent régulièrement dans leurs textes. Avec 4 albums au compteur, plusieurs compilations et mixtapes, c’est un groupe majeur du Rap en France.
La Rumeur revendique sa volonté de rester à part, de ne pas se mêler au jeu de la promotion ou des passages télé comme le font d’autres rappeurs :
“Nous crachons sur les rappeurs domestiqués, sur les groupes médiocres. Nous sommes les subversifs. Si nous allons voir la presse, c’est pour parler des brutalités policières. Pas refiler des slogans sur la vie est belle”
écrivent-ils dans leur livre Il y a toujours un lendemain, sorti en 2017, qui retrace le parcours du groupe.
Pochette de l’album Tout Brûle Déjà sorti en 2012
Diversifiant ses activités, La Rumeur est aussi à l’origine d’un journal, La Rumeur Mag. Un article écrit dans ce journal en 2002 va être à l’origine d’un procès, très médiatisé, qui met le groupe sur le devant de la scène politique. Cet article, qui dénonce le racisme de la police, et la récupération du mouvement anti-raciste par SOS Racisme (au service du PS), est attaqué par Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur à l’époque. La relaxe est finalement accordée, au bout d’un long combat qui dure de 2002 à 2010.
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Retour sur un morceau emblématique du rap français des années 90. 11’30 contre les lois racistes est une prise de position forte, un des meilleurs exemples d’engagement direct à travers la musique. En effet, “qui prétend faire du rap sans prendre position ?” Cette phrase, qui provient du morceau d’Arsenik “Boxe avec les Mots”, a été reprise à toutes les sauces par de nombreux rappeurs. Aujourd’hui en s’ouvrant à un public extrêmement large et en devenant la musique numéro 1 en france, le rap a en partie perdu cette dimension engagée qui l’a caractérisé dans les années 90. Les rappeurs avaient alors conscience d’occuper un rôle de porte-paroles des banlieues, et n’hésitaient pas à porter un message fort dans leurs morceaux.
Enregistré en 1997, année où sort également le film à la BO mythique Ma 6-T va crack-er, et deux ans après les émeutes de 1995, se succèdent au micro bon nombre de poids lourd de l’époque : Assassin, Akhenaton et Freeman d’IAM, ou encore Passi et Stomy Bugsy du Ministère Amer, accompagnés d’une multitude de rappeurs moins connus. On entend du français, mais également du créole ou du wolof. Ce morceau est déjà mémorable de part sa durée, le nombre et la diversité de ses participants. Revenons sur le contexte de l’époque, contre qui et contre quoi ce morceau a-t-il précisément été enregistré ? Qui en est à l’initiative ?
Depuis 1995, le MIB (Mouvement de Libération des Banlieues) lutte contre le racisme d’état, les discriminations et les crimes policiers de plus en plus nombreux sur les populations issues de l’immigration. (20 ans avant l’affaore Adama Traoré) Dans ce contexte le ministre de l’intérieur de l’époque, Jean Louis Debré, souhaite passer des lois pour durcir les conditions d’accueil des étrangers. Des mobilisations massives sont organisées, et ce morceau est un soutien direct à ces mobilisations (100% des bénéfices sont reversés au MIB). Des thèmes plus larges sont aussi abordés, comme l’expulsion de l’église Saint-Bernard occupée par des sans-papiers, ou les lois Pasqua de 1993 qui durcissaient déjà les conditions de séjour des étrangers en France.
Les revendications y sont directes et précises, évoquées dès l’introduction du morceau par Jean-François Richet (producteur du morceau, par le biais de la structure créée pour l’occasion Cercle Rouge) et Madj d’Assassin Productions:
» Loi Deferre, loi Joxe, lois Pasqua ou Debré, une seule logique : la chasse à l’immigré. […] Un Etat raciste ne peut que créer des lois racistes. Alors assez de l’antiracisme folklorique et bon enfant dans l’euphorie des jours de fête. Régularisation immédiate de tous les immigrés sans papiers et de leurs familles. Abrogation de toutes les lois racistes régissant le séjour des immigrés en France. Nous revendiquons l’émancipation de tous les exploités de ce pays. Qu’ils soient français ou immigrés. »